l y a plusieurs années... cinq peut-être... les personnes qui font la promotion de nos concerts rock à Vienne (Voix du Monde) me proposèrent de donner un concert à Vienne avec le Vienna Symphony. Je dis okay. Après deux ou trois années de tergiversations relatives aux mécanismes de l’affaire, le travail de préparation finale commença. Le concert devait être financé par la ville de Vienne, la Radio autrichienne, la Télévision autrichienne, ainsi qu’une contribution substantielle de ma part (le coût de préparation des partitions et parties d’orchestre).
u moment où l’annonce officielle fut faite que le concert aurait lieu, (je pense que c’était en juin ou juillet), il n’y avait aucun engagement écrit avec les agences gouvernementales citées. Il s’avéra que la personne de la Télé autrichienne qui s’était engagé à fournir 300 000 $ du budget total (somme qui devait couvrir trois semaines de répétitions, le transport du matériel de notre groupe, les salaires du groupe et de l’équipe... je n’étais quant à moi pas payé) n’était pas vraiment habilitée à le faire et fut informée par son supérieur que cette somme avait été allouée à d’autres projets TV. Ceci nous laissa avec les sponsors restants, qui disposaient toujours de leurs fonds et qui désiraient continuer; mais quelqu’un devait rassembler les 300 000 $ manquants.
A ce moment, Bennett Glotzer, mon manager, prit l’avion pour l’Europe et passa la plus grande partie du mois à écumer le continent pour essayer de réunir les dollars manquants. Pas de chance. Entre son voyage, la nourriture, les hôtels, et les appels téléphoniques Intercontinentaux et mon investissement pour payer les copistes qui préparaient les partitions (sans mentionner les deux ou trois ans que j’avais passé à écrire la musique), la somme totale que j’avais dépensée à l’époque où le concert fut annulé avoisinait les 125 000 $... ce qui n’a rien de marrant, à moins de s’appeler Nelson Bunker Hunt.
e fut là la Stupidité orchestrale No 1... La deuxième commence comme ça: l’année dernière à Amsterdam, les responsables du Festival de Hollande vinrent me voir à l’hôtel et me dirent qu’ils étaient désireux de donner une représentation spéciale de ma musique orchestrale avec l’Orchestre Residentie (de La Haye), avec également des représentations de certaines autres pièces mineures avec l’Ensemble d’instruments à vent des Pays-Bas, toutes ces représentations devant avoir lieu pendant une semaine complète au cours du Festival. Je leur dis que j’avais reçu plusieurs offres dans le passé (y compris une par le Philharmonique d’Oslo qui pensait pouvoir mener à bien la chose en deux jours de répétition), et je leur décrivis toute l’histoire de Vienne en termes chaleureux. Je leur dis que ce serait chouette de faire jouer la musique, mais qu’étant donné qu’elle était copieuse et difficile, il n’était pas question de discuter plus avant sans la garantie d’un minimum de trois semaines de répétitions et que cela ne m’intéressait absolument pas de dépenser de l’argent sur mes fonds propres dans de tels projets.
ls m’assurèrent qu’ils s’engageaient à mener le projet à terme, et que le planning des répétitions pouvait être mis au point et pas seulement ça... qu’ils étaient prêts à payer pour tout. Le Festival de Hollande disposait de 500 000 $ pour cet événement. Des accords furent passés avec CBS pour enregistrer et commercialiser la musique, d’autres copistes furent engagés, des musiciens américains qui devaient jouer les parties amplifiées furent engagés, ainsi que des roadies qui s’occuperaient du montage de la sono (étant donné que le concert devait se dérouler dans une salle de 8 000 places assises), et une tournée rock fut mise sur pied pour aider à payer le coût du transport de matériel et les salaires des Américains Impliqués... Je n’étais à nouveau pas payé moi-même, tout cela en préparation d’un autre concert orchestral d’été qui fut condamné à l’échec comme l’autre. Que se passa-t-Il ? Eh bien essayons de comprendre les implications économiques d’un tel projet. Il Implique un grand nombre de musiciens, et ils aiment tous être payés (c’est le moins que l’on puisse dire). Et puis, étant donné que ce devait être un concert amplifié, il y a le problème du matériel spécial pour rendre le son aussi clair que possible dans la salle (elle s’appelait « The Ahoy », une sorte de charmant vélodrome hollandais avec un sol béton et une piste incurvée en bois tout autour de la salle). Il allait aussi y avoir un enregistrement, nécessitant une dépense supplémentaire pour la location du matériel, le salaire de l’ingénieur du son, du coût du transport, etc.
Après un accord avec CBS pour couvrir les dépenses que le gouvernement hollandais ne voulait pas prendre à sa charge, un nouveau problème apparut et s’avéra insurmontable: les besoins des musiciens américains. Malgré un salaire de 15 000 $ pour dix-sept semaines en Europe, tous frais payés, quelques uns de ces musiciens téléphonèrent à notre bureau peu de temps avant la répétition US et essayèrent de passer des accords secrets pour augmenter leurs gains et « ne le dites pas aux autres »...
uand j’entendis parler de cela, j’annulai l’utilisation du groupe « électrique » avec l’orchestre, m’épargnant ainsi beaucoup de temps et d’ennuis pour les faire répéter, et un tas d’argent pour le déplacement. Le projet des concerts restait en vigueur, concerts acoustiques dans de plus petites salles. Le projet d’enregistrement restait lui aussi inchangé... Cinq journées suivant les représentations en public.
nviron une semaine après la tentative de détournement par les musiciens américains, notre bureau reçut une lettre des responsables de l’Orchestre Résidentie. Entre autres choses elle disait que le Comité de l’orchestre (qui représente les musiciens lors des discussions avec le management de l’orchestre) avait engagé un avocat et était prêt à engager les négociations pour déterminer le montant des royalties qu’ils obtiendraient pour faire le disque. Etant donné que j’avais déjà dégagé les fonds chez CBS pour les payer pour faire ce travail, je trouvai une telle exigence incompatible avec la réalité, étant donné que je n’avais entendu parler d’une situation où un orchestre exigeait que le compositeur lui paye des royalties pour qu’il joue des oeuvres qu’il avait composées, et je ne pensais pas non plus qu’il aurait été conseillé de créer un dangereux précédent qui pourrait mettre en danger l’existence d’autres compositeurs, en accédant aux souhaits d’une bande de mécanos avides. Peur de temps après cela, le manager de l’orchestre et le type du Festival prirent l’avion pour Los Angeles pour une rencontre, à propos des derniers détails. Ils arrivèrent chez moi vers minuit. Aux environs de 1 heure et demie du matin, je leur dis que je souhaitais ne jamais rencontrer leur petit ensemble de mercenaires et que l’autorisation d’exécuter n’importe la quelle de mes oeuvres ne leur serait en aucun cas accordée. Ils partirent peu après.
n détermina peu après que le coût de ce Houlà-là intercontinental avait amené mon «Investissement dans la musique sérieuse » aux environs de 25 000 $, sans que j’ai jamais entendu une seule note. Voilà les mecs... deux stupidités orchestrales: un double concerto conceptuel pour instruments inaudibles, sur deux continents, joué à la perfection par quelques uns des musiciens les plus exceptionnels de notre temps.
 
 
Frank Zappa
 
Paru dans Musician n°36
Traduction française de Mick Safont
L’œil de Zappa