
 ans
les années 50 il
était rare
de trouver un solo de guitare sur des 45 tours de rock ou de R.&.B
;
c’était généralement le syndrome pinpon du sax
ténor qui occupait l’espace
entre le pont et le troisième couplet. Quand on entendait une
guitare (en
général sur les morceaux de blues ou country blues, que
je collectionnais), sa
fonction ressemblait peu à l’abondance de stéréo
typifications de léchages
pathétiques et de sécheresse glacée que l’on
trouve aujourd’hui. Vous tous,
fans sensibles de la guitare, qui prenez votre pied dans notre
ère actuelle
pseudo académique. Si vous pouvez
y avoir accès, prenez le temps d’écouter les
soli de guitare sur « Three hours past midnight »
(Johnny Guitar Watson),
« The story of my life » (Guitar Slim), ou
bien presque n’importe
quel 45 tours de BB. King de cette époque. A mon goût ces
soli sont exemplaires
parce que ce qui est joué semble honnête et musicalement
une extension de la
personnalité des hommes qui la jouaient. Si j’étais
critique musical, je dirais
que ces valeurs signifient plus pour moi que la capacité
à exécuter des lignes
propres ou des nuages de notes bien éduquées.
’autres exemples de bon travail
à la guitare de cette époque pourraient être
« Lucy Mae Blues »
(Frankie Lee Simmons), « Happy One » (Elmore James), même si
Elmore
James avait tendance à jouer le même truc
célèbre sur chaque disque (j’ai le
sentiment qu’il était sincère). Et le travail de Hubert
Sumlin (et Buddy Guy
quelquefois) sur les trucs de Howlin’Wolf. Je suis sûr qu’il y a
d’autres trucs
brûlants, mais ceci est un article court. A ce propos, et afin
d’être juste, il
y a également quelques exemples classiques de
stérilité à cette époque dans le
genre soli rock sur les 45 tours de BiIl Haley et sur
l’exécrable jeu propre
comme un kleenex dans les disques de R. & B. avec vocaux quintet
d’origine
new-yorkaise (dans les maisons comme Gee, sur les morceaux au tempo qui
monte
avec le changement de gamme avec la crème glacée).
uis nous en arrivons aux années
soixante. Nous y arrivons en partie parce qu’on conduisait le R &
B.
jusqu’à sa mort (des cordes sur les disques de Ray Charles et de
Fats Domino,
etc.), et parce que l’Angleterre commençait à nous
envoyer de la musique des années
50 recyclée, jouée par des gens qui étaient plus
jeunes et plus beaux que les
consommateurs d’origine (et qui, surtout en ce qui concerne les fans
des
Rollings Stones, n’avaient jamais entendu les enregistrements originaux
de leur
répertoire regonflé de Slim Harpo/Muddy Waters...et pas
seulement ça les mecs,
car s’ils avaient écouté les originaux, ils ne les
auraient probablement pas
appréciés, étant donné qu’aucun des
enregistrements originaux cités plus haut
n’était aussi fringant que Mick Jagger).
e toute évidence, une partie du
processus de recyclage comprenait l’initiation aux soli de guitare de
Chuck
Berry, à ceux de BB. King et même quelques abstractions
à partir des soli de
guitare de John Lee Hooker. La guitare devenait prédominante
dans les arrangements
et accompagnement sur les 45 tours, surtout en tant qu’instrument
rythmique. Les soli sur la plupart des disques de
Blancs tendaient eux aussi à être
rythmiques, surtout dans la musique surf. Presque tout ce qui survit
dans la
mémoire populaire (les grands succès) était
conçu pour faire danser, mais
principalement aussi dans le but de vendre. Les années soixante
virent le début
de la production discographique comme une science au service du
commerce, avec
une accentuation très marquée vers la
répétition des formules à succès. Ce que
l’on peut dire de mieux sur cette époque est qu’elle nous a
donné Jeff Beck au
summum de son feedback, Jimmy Hendrix au plus haut de son volume
meurtrier, et
Cream qui a en quelque sorte légitimé moultement le boeuf
sur scène du moins tant
que vous pouviez vous révéler décemment anglais,
en général en citant des tas
de disques de blues que la plupart des américains n’avaient
jamais entendus.
(les abrutis programmateurs de musique faisaient en sorte que vous ne
puissiez
jamais entendre ce genre de trucs parce que c’était les Noirs
qui les jouaient,
et ils faisaient de leur mieux pour protéger les jeunes
auditoires des fifties
et des sixties d’une chose culturelle aussi horrible, pendant qu’en
Angleterre
les meilleurs musiciens convoitaient les disques de blues des bonnes
années, et
parvenaient à se les procurer, et les ayants, formaient la base
de leur
tradition de jeu).
onc, pour résumer
brièvement,
je caractériserai le guitarisme des fifties comme ayant dans le
meilleur des
cas un peu de véritable humour, du style et de la
personnalité, et dans les
pires des cas une stérilité mécanique et un manque
d’intérêt musical. Je
caractériserai les sixties comme ayant dans le meilleur des cas
des qualités
exploratoires qui n’étaient pas possibles avant
l’avènement de l’amplification
lourde et toute la machinerie d’enregistrement studio, ayant plus
d’intérêt
rythmique et dans quelque cas de véritable humour, de style et
de personnalité. Et pire, le guitarisme des sixties nous
apporta un grattage d’amateur,
plusieurs coups rapides sur les ressorts du Fender Twin Reverb,
l’archétype du
rinçage folk-rock à la 12 cordes,
prédécesseur de l’affreuse musique sensible
de pacotille que nous avons aujourd’hui avec l’auteur compositeur
souffrant « laid-back »
de type sensible, appuyé contre une barrière en bois
fourrie par le département
artistique de la Warner Brothers, gracieusement louée à
toutes les autres
compagnies qui en ont besoin pour leur version de la même
saloperie. N’oublions
pas les premiers exemples du solo de guitare
psychédélique pour ne pas
mentionner l’ « Inna-Gaddada-Vidaisme ».
eci est condensé et en laisse
de côté, mais je suis sûr que vous tous, êtres
tellement modernes qui avez lu
jusqu’ici, attendez avec impatience quelque chose de plus en rapport
avec votre
style de vie — et vous avez tout à fait raison! —. Une
perspective de
l’histoire de la musique n’a absolument aucune place dans le monde
plein de
frissons de la musique d’aujourd’hui. OUI, c’est ça, vous avez
bien lu! Comment
une telle information pourrait-elle être utile à un monde
musical qui accepte
des concepts tels que le Super-groupe, le Meilleur Guitariste du monde,
le Plus
rapide, celui qui jour le Plus Fort, celui qui a collectionné
les Plus Vieilles
Guitares du monde (dont certaines ont appartenu à des
guitaristes décédés et
qui étaient des musiciens pour de vrai), etc.?

’histoire de la musique pop a
pour habitude de nous dire ce que nous sommes réellement, parce
que si nous
n’étions pas ainsi, nous n’aurions pas dépensé des
milliards de dollars en
disques, n’est-ce pas ? Après un conditionnement soigneux par
les médias et les
marchands, la population entière (et mêmes les
guitaristes) a été transmutée en
un amibe consommateur bien peigné et sans odeur que l’on garde
en vie
uniquement pour servir les fabricants, et qui vit sa vie selon la
devise : le
plus Grand, le Plus vite, le Plus assourdissant, c’est le Mieux, et le
Meilleur.
onc, oubliez le passé ; il ne
signifie plus rien pour vous maintenant (à moins que vous
puissiez trouver le
moyen de jouer plus fort/plus vite). — Ce qui ne devrait pas être
trop
difficile, étant donné que même les enfants
aujourd’hui sont capables de jouer
aussi vite que les premiers Mahavishnuistes —. Soyons francs, une fois
que vous
avez appris les 28 ou 29 accords de rock les plus utilisés
(quelques lèches
country, un d’Albert King, une gamme pentatonique de ci de là)
envoyez votre
vibrato de plomb, vous êtes prêts à vivre, à
être ce qui sera connu dans le
futur comme Le Guitariste des Seventies. Eh oui, bientôt vous
appartiendrez à
l’Histoire, et vous aurez enfin votre contrat pour faire un disque, et
il se
vendra à 10 millions d’exemplaires, et chaque guitariste
débutant s’assiéra
chez lui pour vous écouter vous branler à une vitesse
phénoménale avec votre
fuzz parfaite et votre exécution acceptable dans l’ensemble, et
ce petit gars
avec sa première guitare (lui et 10 millions d’autres), se dit:
Merde, je peux
faire ça ! et se met à mémoriser chaque note
procuratrice de douleur, et la joue
plus vite que vous et ce n’est pas tout, après avoir appris
à jouer votre solo
plus vite, il le transpose dans une tierce mineure, fauche quelques
fringues à
sa mère, trouve un job dans un bar, se fait découvrir,
obtient un contrat (avec
une avance sur recettes dix fois plus grosse que la vôtre), fait
un album (avec
un meilleur budget, parce que prochaine coqueluche à venir
d’après les
dirigeants de sa maison de disques, qui ne sont pas contre le fait de
dépenser
un petit extra de plus pour un tel talent authentique)...
 t ce n’est pas tout. Pendant
que vous vous imaginez ne pas pouvoir jouer plus vite, parce que vous
n’avez
pas eu le temps de vous entraîner, parce que vous vous
étiez fait
baiser sur
les royalties de votre premier album (et vous devez encore en
enregistrer dix
de plus d’après le contrat.), il est déjà temps
d’enregistrer votre second
album. Vous demandez à des ingénieurs du son comment
marche un V.S.O. Pendant
ce temps, le petit gars avec les fringues de sa mère sort son
album qui se vend
à 20 millions d’exemplaires, et quelque part, là-bas, il
y a 20 millions
d’autres petits gars avec leur première guitare qui
écoutent votre branlette
recyclée, et qui se disent...

Texte (version
abrégée) : Frank Zappa
Paru en
1977 dans le magazine "Guitar Player"
Traduction
française : Mick
Safont
L'oeil de Zappa 1982
Note : V.S.O. = [variable-speed
oscillator, which controls the speed of the tape recorder]
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