Humo,
15 novembre 1973
Traduction de l'interview du flamand en français par Jürgen Verfaillie. Texte de Marc Didden |
Zappa:
Une
stella ?![]() Humo: Jamais au boulot ! Par contre, raconte-nous tout ce qui s'est passé depuis le concert excellent que tu as donné au Palais des « Beaux Arts », il y a deux ans ? Zappa:
Voyons.
J'ai été poussé hors de la scène par un con
à Londres, le résultat étant que j'ai passé
un bon nombre de mois dans une chaise roulante.
Zappa: Exact. Un groupe comme le Grand Wazoo, à peu près 20 membres, est impossible à soutenir sans demander des prix d'entrée vachement chers. En conséquence, avec chacun de nos concerts, je perdais une bonne partie de ma fortune privée, qui n'est pas tellement énorme en réalité. Tu peux t'imaginer combien de temps cela peut durer. Humo: Alors pourquoi tu l'as fait pendant un certain temps ? Zappa: Parce qu'à ce moment là, je voulais jouer ce type de musique. Si on veut s'exprimer au moyen de la musique, on ne peut pas se laisser arrêter par des problèmes matériels. Si tu veux créer un truc et que ce truc coûte cher, il faut simplement trouver un moyen de se procurer l'argent. Humo:
Mais
tu aurais quand même bien pu faire ta musique sans avoir à
faire des tournées avec toute cette bande.
Humo: Tu n'étais pas ravi de pouvoir donner libre cours à tes capacités de chef d'orchestre ? Zappa:
Ravi
?
Humo: Ton nouveau groupe, celui qu'on a vu au « Forêt National », qu'est ce qu'il a en plus par rapport au dernier ? Zappa: Ce groupe possède 1000% de musicalité en plus. Humo: Et 1000% en moins de théâtralité ? Zappa:
C'est
une remarque bien correcte. Ce manque de
théâtralité
a bien ses raisons, naturellement. Je suis peut-être un type
assez
autoritaire, mais je n'ai pas l'intention d’imposer une conduite
à
des gens, si ce n’est pas leur truc. Humo: Les autres Mothers, les vieux, que font-ils à l'heure actuelle ? Zappa: Voyons: Jimmy Carl Black, "l'Indien du groupe" possède un petit magasin de friandises à New Mexico, Bunk Gardner se trouve quelque part, je ne sais pas où, Don Preston est en train de faire toutes sortes de Trips Magiques à Los Angeles, Mark et Howard seront sûrement en tournée avec leur groupe, Aynsley Dunbar travaille avec Lou Reed et David Bowie. Qui est-ce qu'on vient d'oublier... Humo: Roy Estrada, Arthur Tripp... Zappa: Ah oui, ils sont chez Captain Beefheart. Humo: Alors le groupe de Beefheart commence à ressembler un peu au Fils de Zappa ? Zappa: On pourrait le dire oui. Que ce soit bien clair d'ailleurs que la musique de Beefheart ne m'intéresse plus du tout !
Zappa: Comment dirais-je ? Peut-être ainsi: si jamais Frank Zappa finit dans les livres d'histoire, ce sera grâce au fait qu'il fût l'Entraîneur Vocal de Don Van Vliet alias Captain Beefheart. Humo: Comment se fait-il que de nombreux groupes viennent et s'en vont, mais toi tu restes ? Zappa: Et bien, par ce que c'est ma profession, je présume ? Il y a quand même d'autres gens qui exercent le même emploi pendant plus de 10 ans, non ? Je suis un musicien et je le resterai toujours, je pense. Je n'ai jamais fait autre chose. Humo: A part un film occasionnellement. Zappa: Exact. Humo: Bien sûr ça ne te dérange pas que ces films n'attirent presque pas de spectateurs et soient détruits par les critiques de façon solide. Zappa: Mais bien sûr que cela me dérange, mais je ne changerai pas d'avis à cause de ça. Je trouve toujours que "200 Motels" est un bon film. Il aurait pu être mieux, mais il est bon. Prochaine question. Humo: Quand est-ce que tu reviendras présenter un festival chez nous. Comme tu l'as fait de façon excellente a Amougies en 1969? Zappa:
Arrête,
c'est la période la plus noire de toute ma vie !
Humo: Comment ça se fait que tu n'as jamais fais de hit ?
Humo: Alors ça serait vrai ce que l'écrivain de rock hollandaise Elly De Waard a dit que tu fais de la musique intellectualiste ? Zappa: Pas de commentaire. Humo: L'Engagement Politique est pratiquement absent dans ce que tu as sorti récemment. Les choses ce sont améliorés en Amérique, ou tu es dans l'autre camp maintenant ? Zappa: L'Amérique ne s'est pas amélioré, au contraire, mais ce n'est pas une raison pour moi de commencer à me répéter. Ce que j'avais à dire, je l'ai dit. Faut pas y retourner à chaque fois. Cela ne m'amuse pas, et ça n'amuse pas les gens qui ont acheté mes disques depuis le début. Ils ont le droit à un certain degré de diversion thématique, tu ne trouves pas ? Humo: Tu n'as pas joué beaucoup de morceaux du dernier disque à Bruxelles. Seul morceau que je pense avoir reconnu c'est "Montana". Zappa: Les titres qui se trouvent sur "Over-Nite Sensation", sont derrière moi. Ces morceaux m'intéressaient lorsque je les écrivais, lorsque je les répétais, mais maintenant ils ne me disent plus grande chose. J'ai d'autres trucs en tête : mon prochain disque solo par exemple. Il y a beaucoup de choses qu'on a joué au « Forêt », "Cosmik Debris" et "Penguin In Bondage" entre autres. C'est ça le genre de musique que je fais maintenant. Et je vais continuer à chanter, alors vaut mieux s'habituer au son de ma voix. Humo: Quelle
musique écoute tu chez toi ? Zappa: Penderecki, jazz, pas de pop. Je ne veux pas être trop influencé, tu comprends. Humo: Que fais-tu des textes que tu écrits ? Zappa: Je veux écrire sur les choses qui m'intéressent, et si cela n'est pas ce qui intéresse tout le monde, c'est pas mon problème, non ? Je chante du "Dental Floss" parce que ça me plaît, et par ce que Dental Floss selon moi, c'est un sujet fascinant. Humo: Même si tu considères qu'ici en Europe, personne ne sait ce que c'est que le Dental Floss. Zappa:
Même
dans ce cas, oui. Mais je suis de bonne volonté. J'ajuste mon
show
chaque fois que je visite un pays non anglophone. C'est pas comme si je
faisais des changements fondamentaux, mais j'essaye de ne pas
être
trop difficile. Durant le premier concert de cette tournée, j'ai
fais un morceau très long avec des textes terriblement
compliqués,
j'ai remarqué qu'il n'y avait presque pas de réaction,
alors
je l'ai supprimé. Humo: Qu'est ce que tu aimerais bien faire ? Zappa: Rire, bon dieu, rire. Allez, rions. Un, deux, trois... (sourire) Humo: (idem) Todd Rundgren trouve que tu as perdu ton sens de l'humour. Que tu préfères être le meilleur musicien plutôt que le musicien le plus comique ! Zappa: Nous sommes incroyablement comiques. Le plus comique à ce que nous faisons, c'est qu'on le fait. Mais personne a compris ça. Humo: Ce que moi je ne comprends pas, c'est pourquoi toi et Lennon vous avez sorti un disque tel que "Some Time In New York City". Zappa:
Et
bien, moi non plus je ne comprends toujours pas comment John a
osé
faire ça. C'était de la pure rigolade privée,
l'intention
n'a jamais été de faire sortir ces enregistrements. S'il
fallait vraiment le faire, j'aurais bien aimé que John,
Humo: Comment ? Zappa: Mais oui, John a disons, censuré ces tapes. D'abord il a omis tout le Dirty Talk que Mark et Howard avaient débité durant ce concert là, et il y en avait beaucoup. Ensuite, il a effacé tous les gros mots qu'un membre du public adressait à Yoko Ono, alors on ne peut pas parler d'une honnête représentation de ce qui s'est passé ce jour là. Ca fait que je suis un peu désillusionné par rapport à John. Je n'aurais jamais pensé ça de lui, mais bon, c'est ça l'amitié. ![]() Zappa:
Bof,
la rançon de la gloire mon vieux, on ne peut rien faire contre
ça |
Nota : "Forêt National" est une salle de spectacle près de Bruxelles. * Guy Mortier est chef éditeur de Humo, il ressemble incroyablement à Zappa au niveau physique... |