rank Zappa est né à Los Angeles. L’histoire des Mothers commence à L.A.. Cette ville tentaculaire est le cadre béni dans lequel se déroulent toutes les tragédies zappiennes. Mais cela n’a aucune importance, finalement, L.A. c’est New York, San Francisco, et Des Moines : c’est aussi Londres, Paris, et Saint-Nom-la-Bretèche. C’est à dire l’existence morne de millions de kids et de minettes, partagés entre une école insipide, une famille triste à dégueuler et toutes les combines de marchands attirés par ces consommateurs d’une espèce nouvelle. La grand fabrique de « plastic people », qui ne croient même plus en ce qui pouvait motiver le travail quotidien de leurs parents. La vie évolue doucereusement, en se laissant abrutir par la radio, les mass media, les idéaux bidons, politiques, religieux, n’importe quoi du moment que l’on puisse se donner une dernière raison d’être pour servir de valets à ce qui reste en place, immuable. Les chansons de Zappa sont autant de petits poèmes du désespoir de ces enfants de l’Amérique, en lesquels il faudrait peu d’efforts pour reconnaître aussi ceux de la France à Pompidou.
es thèmes abordent les aspects folklorique de la vie du teenager contraint à une effroyable misère intellectuelle et, surtout, sexuelle. L’amour rapidement expédié au fond des grosses bagnoles le soir, dans les cinés drive-in, ou sur la route de campagne, et magnifié, transposé plus tard dans une espèce de romantisme douteux, vaguement schizophrène, ou la bluette, l’amour courtois, le rêve, ne sont que des déviations, les transferts dans une réalité infantile, l’idéalisation d’un moment raté, récupéré dans l’imaginaire. Il y en a plein des comme ça dans des albums comme « Ruben And The Jets » (« Cruisin For Burgers » c’est le but des virées du samedi soir aller bouffer un hamburger au drive-in du coin, parce que c’est le seul endroit où l’on peut rencontrer quelques copains et copines). Que là-dessus éclate une crise, une révolution culturelle, n‘est point surprenant. C’est l‘explosion du phénomène hippie. Sous les yeux de Zappa, en 68-69, cela ne change rien : il s’agit toujours de plastic people, déguisés différemment, qui ont remplacé au panthéon de leur petite consommation les shows télévisés en couleurs par le LSD. Les motivations, au départ, sont les mêmes : faire comme tout le monde, se donner du rêve à s’en faire péter la tête, du moment qu’on passe à côté des questions essentielles, et qui sont comme par hasard, autant qu’on puisse le voir dans la suite des événements, principalement sexuelles. La grande frousse, quoi. Toutes les déviations se produisent alors, et Zappa se marre en coin, produit Alice Cooper et les GTOs, assume sa condition d‘observateur critique des teenagers et de leur univers, jusqu‘au point ou il engage d‘authentiques idoles des jeunes, pour remplacer ses Mothers un peu défraîchies. Le rire est si loin, au fond du personnage, si enfoui, toujours présent quelque part, prêt à frapper, que certains de ses ancien compagnons prennent peur parfois ;  Beefheart commence à parler de personnalité maléfique, ce qui n‘est que le début d‘une forme d’intolérance qui, en d’autres temps menait au bûcher.
l y a peut-être dans tout cela une certaine tendresse voilée, sorte de commisération pour toute une génération froidement sacrifiée. Vouloir soigner les gens, c‘est d’abord leur montrer leur maladie. Après, c’est à chacun de voir ce qu’il peut faire avec son propre cas sans trop emmerder le voisin. Cette attitude était alors bien différente de celle des groupes de San Francisco, pour lesquels rien ne valait mieux que d‘afficher un optimisme sans réserve. Affaire de climat peut-être, la Baie étant plus douce, plus accueillante et plus saine que les immensités de Los Angeles. Mais, l‘Amèrique, était plutôt L.A. que S.F. Le mal y était plus visible.
Notre choix a porté ici sur la période la plus verbale du groupe, entre « Freak Out », et « We’re Only In lt For The Money », durant laquelle se produisent tous les événements que l’on sait. Le regard sévère et apitoyé qu’il jette sur son époque est exprimé dans des chansons parfois cruelles, humour caustique qui ne laisse rien au hasard. Tout ce qui peut être ravagé est minutieusement mis en morceaux, et de ce cataclysme jaillit finalement une lumière qu’il nous appartient de trouver. Le comble de la dérision, bien plus que les amusants pastiches de la pochette de « We’re Only In It… », sera l’album « Ruben And The Jets », où Zappa revit littéralement la musique de son adolescence, qui est un peu la première musique à avoir fait partie d’une culture adolescente, la première qui lui était propre. C’est surtout cela que Zappa veut remettre en question, en soulignant les ridicules d’un gros trait bien marqué, afin que nul n‘ignore que les fabricants de cette musique se sont toujours royalement payé notre tronche. Dieu et Wilhelm Reich savent pourquoi.
Hungry Freaks Daddy
Texte original Traduction
Mr America, walk on by
your schools that do not teach
Mr America, walk on by
the minds that won’t be reached
Mr America, try to hide
the emptyness that’s you inside
but what you find’s that the way you like
and all the corny tricks you try
will not force out the rising tide
of Hungry Freaks Daddy.
They won’t go no more no more
they met Western harware store
philosophy that turns away
of those who are afraid to say
what’s on their minds
the left behinds
of the great society
Hungry Freaks Daddy
Mr America, walk on by
your supermarket dream
Mr America walk on by
the liquor, store’s supreme
Mr America try to hide
the product of your savage pride
the useful mind that it denied
the day that you shrugged and stepped asside
you saw their clothes and then you cried
those Hungry Freaks Daddy.
Mr America, passe à côté
de tes écoles qui n’enseignent rien
Mr America, passe à côté
d’esprits qui ne seront jamais atteints
Mr America, essaie de cacher
le vide que tu es à l’intérieur
mais ce que tu trouves, c’est ce que tu aimes
et tous les trucs bidons que tu essaies
ne rejetteront pas la marée montante
de Freaks affamés, papa.
Ils ne marcheront plus jamais, jamais
ils ont rencontré la philosophie de bazar occidentale
qui se détourne
de ceux qui ont peur de dire
ce qu’ils ont dans la tête
les laissés pour compte
de la nouvelle société
les Freaks affamés, papa.
Mr America, passe à côté
ton rêve de supermarché
Mr America, passe à côté
des crus du marchand de pinard
Mr America, essaie de cacher
le produit de ton orgueil sauvage
l’esprit utile qui est renié
le jour où tu t’es haussé et as marché à côté
tu as vu leurs vêtements et alors tu as pleuré
ces Freaks affamés, papa.

Who Needs The Peace Corps?
What’s there to live for
who needs the Peace Corps
think I’ll just drop out
I’ll go to Frisco
buy a wig and sleep
on Owsley’s floor
walked past the wigstore
danced at the Flillmore
I’m completely stoned
I’m hippy and I’m trippy
I’m a gipsy on my own
I’ll stay a week and get the crabs
and take a bus back home
I’m really just a phony
but forgive me
‘cause I’m stoned
evrey every town must have a place
where phony hippies meet
psychedelic dungeons
popping up on every street
Go to San Francisco...
how I love you, how I love you
how I love you, how I love you
Frisco
how I love you, how I love you
how I love you, how I love you
ph, my nurse’s gettin’ hit in the back
every town must have a place
where phony hippies meet
psychedelic dungeons
popping up on every street
go to San Francisco...
watcha...
first I’ll buy some beads
and then a leather band to go around
my head, some feathers and bells and
the book of indian war
I will ask the chamber of commerce
how to get to Haight street
and smoking a lot of dope
I will wander around barefoot
I will have a psychedelic gleam in my eye at all times
I will love everyone
I will sleep
I will go to a house
that’s what I will do
I will go to a house where there is
a rock and roll band
‘cause the group’s all live together
and I will join the rock and roll band
I will be their road manager
and I will stay with them
and I will get the crabs
but I won’t care...
Pourquoi peut-on vivre ici
qui a besoin du Peace Corps
je pense que je vais simplement décrocher
Je vais aller à Frisco
acheter une perruque et dormir
sur le plancher de Owsley
Je suis passé devant le perruquier
j’ai dansé au Fillmore
Je suis complètement défoncé
je suis un hippy et je plane
Je suis un gitan de mon cru
Je vais rester une semaine et attraper des morpions
et prendre un bus pour rentrer à la maison
Je suis vraiment un bidon
mais pardonnez-moi
car je suis défoncé
Chaque ville doit avoir un endroit
où des hippies bidon se rencontrent
des troquets psychédéliques
ouvrant à tous les coins de rue
Allez à San Francisco...
que je t’aime, que je t’aime
que je t’aime, que je t’aime
Frisco
que je t’aime, que je t’aime
que je t’aime, que je t’aime
Oh, ma nourrice a été frappée dans le dos
toutes les villes doivent avoir un endroit
où les hippies bidon se rencontrent
des troquets psychédéliques
ouvrant à tous les coins de rue
allez à San Francisco...
attention...
d’abord je vais acheter des perles
et puis un bandeau en cuir pour mettre autour de ma tête,
des plumes et des clochettes et le
livre des guerres indiennes
Je vais demander à la chambre de commerce
comment aller à Haight street
et fumant beaucoup d’herbe
je me baladerai alentour pieds nus
J’aurai une lueur psychédélique dans les yeux à tous moments. J’aimerai tout le monde
Je dormirai
J’irai dans une maison
c’est ce que je ferai
j’irai dans une maison où il y a
un orchestre de rock
parce que le groupe vit ensemble
et je me joindrai à l’orchestre de rock
je serai leur road manager
et je resterai là avec eux
et j’attraperai des morpions
et je n’en aurai rien à foutre...
 
Texte et traduction : ALAIN DISTER

Parution : Rock & Folk N°66
Date : juin 1972