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es Mothers of
Invention ont terminé leur existence. Il ne convient pas ici de
retracer précisément toutes les phases qui ont
marqué leur carrière mais plutôt de faire quelques
remarques à propos des relations qui unirent un homme (Frank
Zappa) à un groupe d’individus (variable) que l’on nomme Mothers
0f Invention. Les Mothers n’ont jamais existé on tant que
groupe, sauf peut être au tout début de leur vie. |
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a
présence de plus en plus dominatrice de Zappa repousse les
musiciens
dans un rôle de plus on plus limité de simples
exécutants dans lequel
ils ne peuvent se satisfaire complètement. Les Mothers
sont morts. Zappa est parti plus loin
tenter de nouvelles expériences. Huit ans de sa vie
passée avec un orchestre de composition à peu près
semblable (même si les musiciens ont changés) lui ont
permis d’en épuiser, sans doute le croit-il les
possibilités. |
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Sa réticence à continuer avec la
dernière formation (la meilleure techniquement) s’est
déjà manifestée dans le film « 200
Motels», où il éprouve le désir de faire
jouer sa musique par un grand orchestre. Les
Mothers sont morts.
ot
Rats, c’est le nom du nouveau groupe, est né. Seul Ian
Underwood, le fidèle Underwood, celui qui suit Zappa depuis 7
ans, est encore là. Les autres (Don Preston, Aynsley Dunbar) se
sont regroupés autour des deux chanteurs Mark Volman et Howard
Kaylan pour former « The Phlorescent Leech and Eddie ».
Sans doute pour prolonger un peu le passé. Les musiciens,
ex-fonctionnaires, ont bien du mal à prendre conscience
qu’aujourd’hui à nouveau il sont libres , mais il ne tenait qu’a
eux de l’être.
Généralement, dans un groupe, les musiciens
s’enrichissent de leurs expériences réciproques. Avec
Zappa tout est différent. A une volonté inflexible de
réaliser ses propres buts se joint un désir permanent
d’enrichissement de sa propre personnalité. C’est son
expérience seule qui a créé et qui a enrichi ce
qu’on appelle la musique du groupe mais qui en fait n’était que
sa musique personnelle. Exit Mothers. Seul Zappa Importe.
APPA:
la complexité évidente du personnage, qui ne se
livre en confidence que très rarement, ne rend pas l’analyse
facile. Ses jugements peuvent être considérés comme
tour à tour sévères, naïfs,
prétentieux, et même parfois réactionnaires. Mais
jamais, même dans les moments les plus difficiles, il n’usera de
démagogie.
—1968: il avoue détester les beat nicks, la paresse,
l’ignorance, le mauvais goût et la stupidité, ce qui est
corroboré par le texte de « Who needs the Peace
Corps».
«First I’ll buy some beads/and then a leather go around my
head/and then a Some feathers and bells and the book of Indian War... I
wonder around barefoot/I’ll have a psychedelic gleam in my eye at all
times! l’ll love everyone..»
« D’abord je vais acheter des perles! Et puis un bandeau de cuir
pour mettre autour de la tête! Des plumes et des clochettes et le
livre des guerres indiennes Je me baladerai pieds nus! J’aurai une
lueur psychédélique dans les yeux/ J’aimerai tout le
monde. »
—1968 « Je pense que la pop music est une nouvelle politique, et
la seule politique valable. Je ne me suis jamais identifié au
flower Power, je n’y ai jamais cru. Beaucoup de choses qui vont mal
dans le monde aujourd’hui pourraient être arrangées plus
vite par des musiciens que par des politiciens. »
— Souvenirs d’une conférence de presse mémorable
donnée par Frank Zappa devant la presse pop parisienne
’un
côté une table où est assis, outre Zappa, le
traducteur officiel Philippe Paringaux, de l’autre un amas de
personnalités plus préoccupées de manger ou de
boire « vous pouvez me redonner un ptit peu de cette salade de
fruits si exquise ... » Que d’essayer de rentrer en contact, avec
celui qui était leur hôte. L’attitude de Zappa fut telle
qu’elle devait être sèche mais polie. Le monsieur n’a que
faire dans de telles circonstances des divers représentants de
la presse française. La comédie ridicule dura vingt
minutes. Il repartit plus grand encore qu’il n’était venu.
— Petit-fils d’émigrés italiens, Frank Zappa naît
en 1940. Son adolescence se passe dans les remous causés par la
révolution du rock n’roll. L’influence est énorme et
toujours sensible aujourd’hui D’ailleurs l’Amérique toute
entière vit à heure du rock n’roll. Des shows y sont
consacrés, des dizaines de magazines l’étudient et dans
les nights clubs résonne la nouvelle musique. Toute une nouvelle
culture se développe. Zappa s’y plonge totalement jusqu’à
en être complètement imprégné. Il
connaît ses premières expériences musicales et
assimile les axiomes des musiques de l’époque. Mais il ne tarde
pas à manifester le désir d’acquérir de nouvelles
connaissances. Il lui faut se dégager d’une paresse morale qui
ne peut que nuire au développement de l’individu. Zappa
découvre avec étonnement Varèse et Stravinsky.
Aujourd’hui même, combien de musiciens dits pop ont eu la
curiosité d’esprit de sortir de leur petit domaine, d’enlever
leurs oeillères modestement et de se remettre à apprendre
es
années 1960 ne sont pas en Amérique marquées
par une grande richesse musicale. Bien au contraire c’est l’invasion
britannique, menée par les Beatles et autres groupes (Rolling
Stones, Kinks. Who...) qui va redonner à la musique
américaine un second souffle. En 1964 il est encore difficile
pour un musicien original de s’exprimer. Zappa: « cela peut
paraître aujourd’hui de la science fiction mais en 1964, si vous
n’aviez pas le son des Beatles vous n’auriez aucune chance de vous en
sortir». Les Beatles ont engendré la Beatlesmania mais
aussi la groupmania. La vogue des artistes chantant en solo est
terminée. Il faut former un groupe pour avoir du succès.
La rock music est devenue respectable. Les quatre garçons de
Liverpool ont semble-t-il à l’époque
définitivement enlevé au rock son pouvoir subversif. Ils
sont bien habillés, et surtout ils ont un comportement
sympathique qui n’effraye pas les bonnes gens. Les groupes
américains se calquent sur le modèle et le monde de la
rock music semble baigner dans une félicité merveilleuse.
Et puis, oh horreur il apparaissent une bande de monstres plus
difformes les uns que les autres, qui ne veulent plus jouer une musique
douce à l’oreille et dont le but avoué est de
déranger. Leur chef, un nommé Zappa, se permettant
même de se rendre célèbre par un poster qui le
représente dans une situation commune à tous mais que
l’on préfère en général ne pas exhiber;
assis sur des toilettes... Sacrilège : le mauvais goût
(mais qu’est-ce que le mauvais goût ?) s’exhibe au grand jour.
’Amérique
n’est plus ce qu’elle était, mon bon monsieur.
Les disques des Mothers of Invention sont interdits sur toutes les
chaînes de radio américaines. Rappelons que le premier
album des Mothers est enregistré six semaines avant «
Revolver » des Beatles. La musique laisse évidemment
passer très nettement les influences de Zappa, surtout le
rythm’n’blues. Ce qui n’empêche pas qu’on la qualifie de trop
intellectuelle ( ?) audacieuse, trop choquante. Amen. Pour une fois
légalité rock + protest = dollar ne se vérifie
pas. Elle se vérifiera plus tard.
— 1967:
«We Were Only in It For Money ». Pendant que les
Who, gentil groupe britannique, interprètent «Happy Jack
» et « I can see for miles», pendant que les Beatles
en sont à cogiter avec leur maharashi, Zappa et ses amis osent
s’attaquer à ce qu’il y a de plus puissant et de plus
respecté: les Beatles et l’argent. La provocation est
énorme et elle atteint son but.
«What’s the ugliest part of your body/ What’s the ugliest part of
your body/ Some say your nose/ Some say your toes! But I think it’s
your mind/ I think its your mind. »
« Quelle est la partie la plus sale de votre corps ?/Quelle est
la partie la plus sale de votre corps ?/ Certains disent que c’est
votre nez! d’autres disent que c’est vos pieds! Mais je pense que c’est
votre esprit! Je pense que c’est votre esprit».
poque
de défoulement rageur où toutes les institutions
établies, et l’american way of life sont les cibles les plus
évidentes pour un observateur au regard aussi vif que celui de
Frank Zappa. Car Frank Zappa est déjà le leader du
groupe. C’est lui le principal responsable de cette
réintroduction du délire (contrôlé et
même programmé) verbal, gestuel et musical qui est la
caractéristique des passages scéniques des Mothers.
Grande époque de provocation permanente. Les albums «
Freak out», « Absolutely free », « We were only
in it for money » en sont le plus marqués. Les Mamans de
l’invention sont annoncées partout comme le groupe le plus
étonnant qu’ait engendré la pop music. Le plus
contestataire dans le monde de représentation qu’il a choisi.
Une simple anecdote suffira pour montrer à quel point un artiste
de pop music est éloigné réellement des luttes
politiques auxquelles souvent on prétend le mêler. Les
Mothers sont en Allemagne, où Rudi Dutshcke (dit le Rouge)
essayait de réveiller la paisible République
Fédérale par un concert. Un militant monte sur
scène pour demander à Zappa de donner au micro l’heure de
rassemblement pour une manifestation. Les Mothers, groupe
révolutionnaire par sa position musicale, refusent. Le public
n’aura plus qu’à crier pendant le reste du spectacle «
Mothers of Reaction », rien n’y fera. Le paradoxe n’est pas
encore près d’être résolu et les pop-stars ne sont
pas près de quitter leur tour d’argent. Seuls, des Mothers de la
première époque, Zappa est prêt à assumer
réellement son rôle de pop-star. Les autres se sont trop
démarqués du jeu social préexistant pour s’y
introduire de cette façon. Lui seul a une volonté absolue
d’être célèbre. Son côté businessman
se développe parallèlement à son travail de
compositeur et de musicien. Sa croyance dans la mission du musicien
l’incite à recueillir dans sa maison de disques un certain
nombre d’individus aussi peu fréquentables que les Mothers de la
première époque et qui, comme eux, font par le disque
« des études sociologiques sur le mode de vie
spécifique des gens qui sont les produits de la rock
culture». Ainsi Zappa fait-il enregistrer son vieil ami Don Van
Vliet alias Capitaine Coeur de Boeuf, Wild Man Fischer, Alice Cooper,
et GTO’s... Le besoin de rentabiliser ce qui est une dépense
d’argent (la fabrication d’un disque) développe plus encore son
aspect homme d’affaires. Ce besoin de classifier, d’organiser, se
répercute sur la musique et surtout sur les relations entre
musiciens. Tout doit être fait efficacement.
a
création et la vente d’un disque, comme la recréation
sur scène, doivent de plus en être faites avec
efficacité. Les exigences nouvelles sont en grande partie
responsables de l’évolution du groupe. Zappa, chef de plus en
plus autoritaire, est obligé pour faire exécuter la
musique à laquelle il pense, de procéder à des
changements de personnel. La grande fête est terminée
à tout jamais. Il enrôlera des musiciens aux
capacités techniques plus développées : George
Duke, Aynsley Dunbar, Mark Volman, Howard Kaylan et Jeff Simmons (qui
n’aura qu’un poste temporaire). C’est avec cette composition que les
Mothers jouent à Paris pour la dernière fois il y a
environ deux ans. Le spectacle est exemplaire d’efficacité, mais
tout cela est froid, tout cela est glacé.
A force de trop vouloir ordonner les choses on peut les tuer. Toute
émotion est depuis longtemps gommée, il ne reste plus au
spectateur qu’à ingurgiter un produit parfaitement consommable.
Le musicien commence un solo quand Monsieur Zappa le lui ordonne, et le
termine quand le chef lui fait signe de la main. Merveilleuse
efficacité du show-business américain. Adieu «
Freak Out », «Absolutely free ». Ce n’est pas non
plus la présence, quoi qu’on ait pu en dire, de deux chanteurs
ex-Turtles (Volman et Kaylan) qui suffira à nous ramener
à cette époque passée. «200 Motels »
(le film), tout comme la production discographique, nous montre que
Zappa n’est plus fait pour la grande farce, pour la provocation
hénaurme. Les Beatles avaient rendus le rock respectable. Zappa
et ses Mothers avaient fait craquer le mur de la respectabilité
à coups de pétards. Aujourd’hui il a reconstruit le mur.
D’autres se chargent de le redétruire. Seules restent à
Zappa d’incontestables qualités de musicien et une justesse
d’observation. « Dont Ever Get Sad When.You Go Out On The Road /
You Get Nothin But Groupies And Promoters To Love You / And A Pile 0f
Laundry By The Hotel Door».
« Est-ce que ce n’est pas triste de partir en tournée /
Quand vous n’avez rien que l’amour des groupies et des promoteurs/ et
une pile de linge sale devant la porte de l’hôtel».
Les
Mothers sont morts. Depuis longtemps déjà. Howard
Kaylan : « A cette époque nous étions tellement
réprimés émotionnellement que vous auriez pu nous
transpercer d’aiguilles que nous ne l’aurions jamais senti».
Ironie ou règlement de compte sordide. Mais Zappa n’en n’a que
faire. Lui est déjà tout pris et séduit par son
nouvel orchestre (Hot Rats). Les vingt membres permettront à son
imagination et à sa rigueur de s’exprimer avec une nouvelle
force. Les pérégrinations de Monsieur Zappa ne sont pas
encore près d’être terminées. Quant aux monstrueux
Mothers, leur existence a bien été trop prolongée.
Leur véritable mort est beaucoup plus ancienne. « Freak
Out, Absolutely free et We were only in it for money” en sont les plus
grands témoignages. Mais dans l’oeuvre de Monsieur Frank, rien
n’est à négliger.
Article
: Thierry LEWIN.
Parution
: POP MUSIC N°115 de septembre 1972.
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