Interview du 01/01/2005, Fred pour Fredunzel.com / C.Delbrouck pour le NRO
Réalisé sans trucage et sans subvention. Aucun animal n'est mort pendant l'interview.


- Depuis quand date le NRO ? Qui est à l'origine de la formation ?

Eh bien ! C’est moi qui suis à l’origine du groupe. C’était fin 1999. Je débarquais à Poitiers. J’ai croisé un jour Matthieu qui faisait la manche. Il jouait « Giant Steps » comme si c’était un jeu d’enfant. Sa technique était impressionnante et sa sonorité exceptionnelle pour un type d’à peine 18 ans. Plus tard je suis allé passer une audition chez Jeff qui avait besoin d’un bassiste. Et j’ai trouvé qu’il sonnait très roots, très Rory Gallagher, avec une vieille wah-wah et tous les trucs que plus personne n’utilise maintenant. Et il se trouve que j’adore ça ! Jeff chantait également très bien en anglais. J’ai pensé alors au moyen de réunir ces deux gars. C’était a priori impossible. J’ai repensé alors au Golden Poodle Quintet que j’avais monté au pied levé à Paris en 1996 pour jouer du Zappa. Pourquoi ne pas remonter un hommage  ? Et c’est ce qu’on a fait… Là on était tranquille, on pouvait associer un type féru de jazz et de musique classique avec un fan d’Hendrix. J’ai regroupé tous les mecs que j’avais rencontrés ces derniers mois et on s’est attaqué au répertoire. Mais plutôt que de jouer bêtement, je me suis dit qu’il fallait trouver une manière originale d’aborder tout ça. Il fallait un sens personnel, pas un principe de reprises. J’avais le souvenir d’une version en public de « Bobby Brown » avec le Golden Poodle Quintet – une version à la fois twist et New Orleans sur laquelle le public devait chanter les paroles. C’est dans cette voie qu’il fallait aller. Utiliser ce matériel comme un espace de liberté plutôt que s’aliéner aux seules structures complexes. J’ai donc engagé un comédien pour avoir une palette narrative, en sachant qu’elle serait très malléable – mais que pouvait-il dire qui n’ait déjà été fait par Zappa ? C’était l’époque où Michel Houellebecq vendait des millions de bouquins, alors on a tapé dessus. Idem avec André Rieu et toutes les icônes imbéciles. J’ai écrit les textes. Hervé les interprétait. Les musiciens se chargeaient de lier les parties dialogués comme lorsque Zappa utilisait Flo & Eddie. Tout devenait élastique. C’était formidable. Les happenings sont arrivés ensuite parce que Jeff avait la stature pour ça. Le poulet du pauvre, il le débitait sur scène avec une hache… On a fabriqué très vite notre propre mythologie.

- Est-ce que les membres du groupe sont tous des "fans" de Zappa ?

Non, ils ne sont pas fans. Où ils ne l’étaient pas. J’avais remarqué avec le Golden Poodle Quintet, que réunir des fans, c’était se confronter à des esthétiques très proches du pandémonium Zappa. Et donc, de risquer de faire de la copie, même inconsciemment. Les musiciens du Nasal Retentive Orchestra n’ont jamais eu envie de sonner comme Ike Willis ou George Duke. Non seulement ça nous a permis d’avoir une identité propre mais aussi de nous concentrer sur l’esthétique personnelle des musiciens du groupe plutôt que sur des idiomes appartenant aux Mothers. C’est d’autant plus intéressant que chaque musicien du NRO vient d’un univers particulier. C’est d’ailleurs à mon sens fondamental. Si vous réunissez six rockers, ils ne pourront jamais jouer que du rock. Même chose avec des jazzeux. Ce qui est bien avec la formule actuelle du NRO c’est que les mecs ont plusieurs registres dans lequel ils sont pertinents. Vincent jouera plutôt du free jazz ou de la musique classique, mais s’il faut chanter un twist, il n’a pas peur de le faire. Jean-Yves est un adepte du jazz contemporain, mais il connaît par cœur Michel Sardou. Avec des musiciens polyvalents, on peut créer une véritable tension stylistique et c’est exactement ce qu’il faut pour jouer Zappa.

- Que font les musiciens du NRO en dehors du groupe ?

Vincent joue dans l’octette de Dominique Pifarély. Matthieu est dans le big band de Marc Ducret. Jean-Yves à son propre trio. Jeff à son propre groupe. Patrick navigue à la demande…

- Comment êtes-vous perçu par les auditeurs non francophones ?

Tu sais, on a toujours vendu plus de disques à l’étranger. En France, on est référencé dans les FNAC, mais les vendeurs ne commandent pas nos disques quand un client vient leur en demander un. Ils disent que c’est introuvable. A l’étranger c’est plus réglo. Les italiens achètent nos disques depuis la parodie du pape dans Flegmar… Je crois qu’ils nous perçoivent comme des gens un peu fous. On doit l’être alors.

- Bien qu'il y ait quelques compositions personnelles sur vos disques, n'est ce pas frustrant de jouer la musique d'un autre ?

Eh bien ! Moi je suis écrivain. Je ne compose quasiment pas. Mais j’ai toujours adoré Zappa. Les autres sont compositeurs dans des registres précis et inconciliables. Le NRO c’est juste un outil pour tester des choses qu’on ne peut faire dans aucun autre contexte. C’est comme une sorte de jouet monstrueux. Si on veut être sérieux, pas sérieux, classique, rock, jazz… C’est un horizon à perte de vue. Jamais je n’aurai pensé jouer la musique de Zappa parce que toute ma vie j’ai écouté ça religieusement. Le jouer c’était presque un sacrilège. Maintenant, le problème est différent. Si personne ne joue Zappa, sa musique va disparaître.

- C’est plutôt gratifiant de faire découvrir ses compositions ?

Bien sûr. Il y a toujours des néophytes dans une salle de concert. Si on les touche tant mieux. Mais nos meilleurs clients, ce sont les gamins. Peut-être parce qu’ils s’en foutent que ça passe du coq à l’âne… Je me demande quand même si Henri Dès ferait recette avec un hommage à Stockhausen.

- Vous allez aller vers moins de reprises ? Plus de compositions personnelles ?

On n’a jamais fait attention à ça. Je m’arrange toujours pour que les climats soient globalement crédibles. Que ça sonne à la manière de Uncle Meat ou autre chose plutôt que d’essayer d’associer « He’s So Gay » à « Project x »... Aucun intérêt. C’est la même main, mais plus le même moule. Nous travaillons sur des registres et des couleurs d’ensembles très spécifiques, en faisant bien attention d’y trouver notre liberté. Il est prévu que le prochain album ne contienne aucune reprise de Zappa. Ce sera une sorte de cut up à la façon Lumpy Gravy. Le suivant par contre est déjà pensé comme un hommage aux Mothers de 74 avec essentiellement des thèmes de cette époque : « Cheepnis », « Dupree’s Paradise », « Greggery Peccary », etc. Il se peut aussi que ces disques ne voient jamais le jour si on décide d’arrêter les frais. Ce qui peut toujours arriver d’un jour à l’autre.

- Êtes-vous soutenu par la presse musicale ?

Frédéric Goaty de Jazz Magazine parle toujours un peu de nous. Il y a quelques gars à l’étranger qui disent du bien de nous. Les autres s’en foutent complètement. Tu sais pourquoi ? On n’a pas de dossier de presse en papier glacé… Pour qu’un journaliste se donne du mal, il faut que ça vaille la peine n’est-ce pas ?

- Avez-vous des contacts avec les musiciens de Zappa et avez-vous des projets avec eux ?

Quand on est allé à la Zappanale on en a rencontré un paquet. J’ai bien aimé les félicitations de Scott Thunes et de Ike Willis. J’ai une grande admiration pour ces gens-là. Voir Murphy Brock en backstage c’était déjà une sacrée récompense. Mais on n’a jamais branché quiconque pour aller pousser la chansonnette avec nous. Euh attends ! Si… Au moment de Flegmar j’avais contacté Don Preston pour qu’il fasse un truc avec nous au New Morning. Je savais qu’il était en Allemagne à ce moment-là et que ça nous coûterait peu de fric de le faire venir en France. Il était d’accord pour venir. Malheureusement je n’ai pas trouvé de structure à Paris pour nous aider à assurer la Com. Il faut un minimum de moyens et de relais pour réaliser ce genre d’entreprise, parce que sans appuis on se cogne aux murs. Pour 2005 on devait jouer à Bobigny et il était question que Terry Bozzio vienne. Finalement, le directeur a pensé au dernier moment qu’un hommage à Zappa n’était pas si judicieux que ça… Et il a annulé le projet. Si tu veux des histoires comme ça, j’en ai des dizaines. On passe plus de temps à annuler des spectacles qu’à en donner. Ceci dit, concernant les musiciens de Zappa, on aurait bien besoin de percussions à claviers mais je doute que Ruth Underwood se joigne à nous. D’ailleurs je ne sais pas si mon cœur tiendrait.

- Est-ce que vous gagnez de l’argent en produisant vos disques ?

Nous avons une structure de production qui nous permet de réinvestir d’année en année pour la fabrication d’un disque plus quelques extra comme louer un camion de temps en  temps ou acheter du matériel. L’argent des disques sert uniquement à ça. On gagne de quoi fabriquer le disque suivant ! Je m’occupe moi-même de trouver des disquaires, d’assurer un peu de publicité… Maintenant j’en ai ma claque. On fait en sorte d’exister avec 100 fois moins de pognon que les groupes sous tutelle d’une vraie firme. J’ai cherché en vain pendant quatre ans des agents, des attachés de presse, un management, un distributeur… On est tombé sur des phénomènes ! Maintenant, il ne faut plus forcer. Si une bonne chose doit arriver pour le NRO, ce sera avec plaisir. Mais moi, les moulins à vents, j’en ai ma dose. Quand on a fait Fric Out, c’était juste une blague. Et ce disque a semblé plaire aux fans de Zappa et même aux autres. Alors on a continué avec juste la prétention de présenter notre boulot annuel sur ce genre de support. On sait bien que dans chaque disque il y a des trucs ratés, parfois par manque de moyens, et en même temps il y a des choses vraiment bonnes… Quoiqu’il en soit c’est notre bilan annuel. La version de « Duke Of Prunes » dans Flegmar c’est vraiment de la bonne musique. Idem avec Mégret sur « Willie The Pimp ». Dans le « Live », quand j’entends les mecs jouer « Zurich » et « Project x » ça me fait plaisir. Parce que le « Live » c’est du brut… Pas de trucages. Le bouton sur REC et c’est parti ! Voilà comment a joué le NRO en concert en 2004 !… Au départ on avait l’ambition de survivre, maintenant, je pense que le groupe commence à être bon et qu’il pourrait prétendre au moins pouvoir exister avec un minimum de moyens conventionnels. On en est pour l’instant aux balbutiements… On peut aller plus loin comme on peut en rester là. Ça ne dépend plus de nous.

- Zappa n’est pas très à la mode…

Et il ne le sera jamais. Pour qu’un type comme Zappa soit écouté et apprécié à sa juste valeur, il faudrait que l’industrie musicale tout entière implose par accident… Une glaciation soudaine. Quelque chose dans le genre… Il faudrait que les médias diffusent autre chose que leurs merdes pour abrutis. La culture musicale est lessivée maintenant. Il y a tellement d’intérêts commerciaux que personne dans le métier n’a envie de changer une recette qui marche. De toute façon les mecs en sont encore à réchauffer les plans des Beatles ou de la Motown. Alors on n’est pas près de voir un tube en 11 temps. Ils prennent le public pour des idiots… Si Zappa passait à la radio, bien sûr que les gens l’écouterait. Tout ce qui sort des médias est forcément crédible ! Et si vous n’êtes pas diffusé c’est que vous êtes anormal, voire toxique pour la grande consommation… Imaginez que les centres Leclerc vendent le détergent au même rayon que le jambon ! Et bien Zappa c’est ça… Y a plus de rayons. Et ç’est le bordel.