1979.

(JOE'S GARAGE. ACT I)
D'album en album, l'œuvre de Zappa prend sensiblement corps. Elle prend aussi du « corps», comme le bon vin. Il semblait malgré tout difficile d'espérer mieux que Sheik Yerbouti et Orches tral Favorites, et pourtant...
Et pourtant Joe's Garage rend les comparaisons inutiles, les superlatifs ineptes. Pour un coup de maître, c'en est un. Impossible de résister à un tel déluge d'inventions, conceptualisé de A jusqu'à Z. Cet album réduit injustement Sheik Yerbouti à l'état de compilation désordonnée. Dans le maquis sonore de Joe's Garage, le moindre son, la moindre allusion prend son importance, trouve son rôle exact dans la continuité conceptuelle. Chez Zappa, tout est intentionnel. Est-il, dès lors, nécessaire de chercher les références, les clins d'œil qui fourmillent? Joe's Garage comme encyclopédie musicale des vingt dernières années? Joe's Garage, c'est un peu la somme de tout ce qui traîne dans nos mémoires, du sound- track au disco, du glitter-rock à la new-wave, du surf au country, avec toujours ce background rhythm & blues. Tout y passe, guitare façon Duana Eddy, harmonica country, saxos gueulards et Sgt. Pepper, un peu de Coasters par ci, un peu de surf par là. Milkshake ou soda? Mick Rageur ou David Maudit? Satanées majestées...
Hi Folks! Voici Joe's Garage, histoire stupide dont le personnage central est le Grand Scrutateur. Il y a aussi Joe, sa conscience invertébrée, et Larry, le futur roadie. Mrs. Borg, qui veut enfermer son fils dans les toilettes, Père O'Riley, drôle d'Irlandais, et Mary, une vraie salope. The Central Scrutinizer annonce le thème de l'album (souffle dans ton harmonica et mâche ton chewing-gum), un riff de Jumpin jack Flash ne fait de mal à personne. En voilà des surprises, entre deux vocaux des sixties. Catholic Girls est un hommage à Ruben Sano vieux crooner de soixante-quatre ans, avant Crew Slut et Dale Bozzio, ses langueurs perverses et son amour du cuir. Et Why does it hurt when I pee, où Joe attrape une maladie sur le siège des toilettes qui lui fait je cite, « les couilles comme une paire de maracas». Encore un coup de cette satanée Lucille, qui sévissait déjà sur l'album de Juff Simmons en 1969.
Dire d'un tel album qu'il est indispensable serait déplacé. Une question maintenant se pose: jusqu'où ira cette démesure qui ressemble souvent à du génie?
(JOE'S GARAGE. ACTS II & III).
On dirait que sa nouvelle maison de disques a donné des ailes à Zappa. Sheik Yerbouti disque d'or (et ce malgré la confusion organisée par la sortie simultanée de reliquats Warner) , Zappa revient à la charge quelques mois plus tard avec Joe's Garage, opéra rock contant la fabuleuse (au sens premier et ancien du terme) d'un teenage band. Qui nous montre un Zappa en pleine forme, comme chaque fois qu'il nous parle de cul. Déjà, dans le premier acte, Joe, le héros, subissait les assauts répétés de jeunes filles catholiques qui lui prodiguaient des bienfaits qui ne l'étaient pas du tout. Au point d'attraper une chaude-pisse des familles. Revoilà donc Zappa de plus en plus obsédé. Après le fétichisme du cuir et du porte- jarretelles, voici le Zappa nouveau et le fétichisme de la machine. Détailler le scénario par le menu n'est pas racontable ici. De l'obscénité presque à chaque ligne. Fellations, outrages homosexuels avec un robot, travestissements sado-maso, poupées gonflables et vibro-masseurs, le grand jeu sorti pour concocter la plus incroyable des histoires. Peuplée de rock stars, managers. groupies, curés défroqués, mères possessives et rock-critics.Le deuxième acte marque une évolution. Plus de Sgt. Pepper ni de guitare des sixties. Mais l'exploration de toute une tradition noire qui va du rhythm & blues au funky, en passant par les spirituals et les ballades d'une certaine soul-music. Avec une chanson en allemand, Stick it out, Vocoder et tout et tout, sur tempo disco et vocaux doo-wop. Sans oublier les synthés jazz-rock (Sy Borg) sur des mélodies à la Guitar Watson ou Al Jarreau. Un petit tour dans les églises noires (Dong Work/or Yuda) et vers le funky (Keep it Greasy) donnant de la patine au tout.Le troisième acte, malgré des parties vocales ici ou là, est essentiellement consacré à l'instrumental: un hymne à la guitare. C'est aussi le plus autobiographique des trois: « Music is the best » dit Zappa dans Packard Goose et le prouve aussitôt dans Watermelon in Easter Bay. Jamais Zappa n'a été aussi majestueux à la guitare, dans un solo chargé d'émotion, empreint d'une grande tristesse pourrait-on dire. Avant un dernier ricanement (A Little Green Rosetta). Avec les trois actes de Joe's Garage, Zappa nous laisse SON testament des années soixante dix,'comme We're only in it for the Money fut le reportage des années 60.



01
The Central Scrutinizer 3:28
02
Joe's Garage 6:10
03
Catholic Girls 4:19
04
Crew Slut 6:38
05
Fembot In A Wet T-Shirt 4:44
06
On The Bus 4:31
07
Why Does It Hurt When I Pee? 2:23
08
Lucille Has Messed My Mind Up 5:42
09
Scrutinizer Postlude 1:34
10
A Token Of My Extreme 5:29
11
Stick It Out 4:34
12
Sy Borg 8:55
13
Dong Work For Yuda (FZ/Smothers) 5:03
14
Keep It Greasey 8:21
15
Outside Now 5:49
16
He Used To Cut The Grass 8:35
17
Packard Goose 11:31
18
Watermelon In Easter Hay 9:05
19
A Little Green Rosetta 8:14



Frank Zappa Guitare, chant
Warren Cuccurullo
Guitare rythmique, chant
Denny Walley
Guitare, chant
Ike Willis
Chant
Peter Wolf
Claviers
Tommy Mars
Claviers
Arthur Barrow 
Guitare basse, guitare (sur Joe's Garage), chant
Patrick O'Hearn
Guitare basse sur "Outside Now" et "He Used To Cut The Grass"
Ed Mann
Percussions, chant
Vinnie Colaiuta
Batterie
Jeff 
tenor sax
Marginal Chagrin 
baritone sax
Stumuk
bass sax
Dale Bozzio
Chant
Al Malkin vocals Chant
Craig Steward
Harmonica